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Le millefeuille et l’Education

 
Le déplacement de la responsabilité des collèges semble à l’ordre du jour, et pas seulement dans les nouvelles eurométropoles, mais doivent-ils passer sous la même responsabilité que les lycées ou la même que les écoles ?

Le président de la République, lors de sa dernière conférence de presse, a manifesté sa volonté de simplifier le « millefeuille administratif » français, cet empilement et cet emboîtement de responsabilités entre pas moins de cinq types de collectivités. Le système éducatif est un bon exemple d’un émiettement voulu par le législateur de 1982 pour ne déplaire à aucun : aux communes, les écoles ; aux départements, les collèges ; aux régions les lycées et à l’Etat, les universités ! Ce saupoudrage n’est gage ni d’efficacité ni d’économies comme le dénonce depuis longtemps la Cour des comptes. Il faut donc réduire le millefeuille. Oui, mais comment ? Il semble que la tentation soit grande chez nos technocrates de rapprocher collèges et lycées en en confiant la responsabilité commune aux régions, sans aucune réflexion de fond sur les nécessaires évolutions (en cours et souhaitables) de notre système d’enseignement. On discerne la logique d’offrir aux investissements un niveau pertinent de vision planificatrice. Mais, outre qu’elle ne rapproche pas la décision du citoyen, cette orientation serait une catastrophe pour notre école.

Les derniers résultats de l’enquête Pisa de l’OCDE dressent le portrait d’une école française peu performante, où l’écart s’accroît entre les élèves les plus faibles, de plus en plus nombreux, et les meilleurs, dont l’importance numérique se réduit. De plus, le recrutement social de nos élites se rétrécit. Notre école est devenue la plus inéquitable de l’ensemble des pays développés, celle où les résultats et les parcours des élèves dépendent le plus de leur inscription sociale. Cette dérive a une origine : la mise en place en 1975 du collège unique sur les bases pédagogiques et éducatives de la filière alors la plus élitiste, celle des premiers cycles des anciens lycées. Cette massification (accès de tous à l’école) sans démocratisation (accès plus juste à la réussite scolaire) a fait de l’école française une école oligarchique de masse. Le coût social et économique de ce gâchis est considérable.

Diverses études permettent de repérer deux facteurs principaux à cette dérive. D’une part, une ségrégation sociale et ethnique croissante entre les établissements, accentuée en 2007 par l’assouplissement de la carte scolaire. D’autre part, la triple rupture représentée par le passage de l’école primaire au collège : rupture cognitive d’abord (discontinuité des programmes, qui ne répondent pas à la même logique), pédagogique ensuite (passage brutal d’un maître polyvalent à dix professeurs spécialisés) et éducative enfin (au collège, délégation de l’éducation à des personnels spécialisés extérieurs à la classe). Divers travaux de chercheurs montrent que l’école primaire accentue peu les inégalités sociales, voire les réduit. Le collège en revanche a un fonctionnement plus inégalitaire, tant par la pédagogie déployée (pensons au système d’évaluation, particulièrement décourageant pour une majorité d’élèves) que par des processus de choix (options, classes européennes et autres) et d’orientation qui avantagent systématiquement les élèves socialement favorisés.

Face à un héritage comparable (un enseignement primaire de masse centré sur l’acquisition de compétences et de savoirs fondamentaux, suivi d’un enseignement secondaire organisé par disciplines universitaires disjointes et tourné vers l’enseignement supérieur), une majorité de pays européens a entrepris depuis vingt ans, et avec succès, de fusionner ou de rapprocher ses écoles primaires et son premier cycle secondaire, et d’instaurer une plus grande continuité dans les contenus enseignés et les démarches pédagogiques.

En France, ce projet de rapprochement entre l’école primaire et le collège, souvent présenté par les experts sous le nom « d’école du socle », vise un objectif profondément républicain : faire réussir les élèves qui échouent dans leur scolarité obligatoire et qui sont presque exclusivement issus des classes sociales défavorisées, tout en assurant le progrès de tous et la promotion d’une élite plus nombreuse car plus large. C’est ce qu’a commencé à entreprendre le ministre de l’Education nationale avec la loi sur la refondation, qui prévoit d’une part la mise en place de réseaux constitués de chaque collège et des écoles de son bassin de recrutement, pilotés par un conseil commun, et de l’autre, un cycle d’enseignement commun regroupant les trois classes de CM1, CM2 et 6e. Cette orientation rencontre diverses oppositions : celle de la droite bien sûr, attachée à une vision élitiste et malthusienne de l’enseignement secondaire ; celle aussi d’une certaine élite intellectuelle et culturelle, pour laquelle ce rapprochement réveille les vieilles peurs de « primarisation du secondaire » et de « baisse de niveau » des meilleurs élèves.

Si l’on n’y prend garde, c’est cette vision de l’école qu’une décision de rattachement des collèges et des lycées à la même collectivité pourrait définitivement conforter : une vision rétrograde d’un « secondaire unifié » maintenant le collège dans son rôle d’antichambre de la sélection opérée en lycée, une vision élitiste d’une « continuité collège - lycée » coupant en deux l’école obligatoire pour affaiblir la dynamique égalitaire du socle commun. L’intérêt de notre pays est de poursuivre la politique éducative progressiste amorcée, et donc d’associer l’école primaire et le collège dans la même gestion locale.

Maya AKKARI Coordinatrice du pôle éducation, fondation Terra Nova, Christian CHEVALIER Secrétaire général du SE-Unsa, Laurent ESCURE Secrétaire général de l’Unsa éducation, Jean-Pierre OBIN Inspecteur général honoraire et Frédéric SÈVE Secrétaire général du Sgen-CFDT

 
Publié le dimanche 16 février 2014

 
 
 
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